Les traumas se transmettent. Nous le savons. Nous le constatons de mille et une manières. Une des portes pour comprendre notre histoire, porteuse de l’Histoire mais aussi de celle de nos aïeux, demeure les rêves. Témoins et mémoire de l’Histoire collective

Nos rêves, témoins de notre généalogie

 « Cadavres suspendus », « étrangers qui s’immiscent dans la maison », « hommes armés qui cassent une porte »… ces éléments sont répétitifs dans les rêves des descendants de la Shoah.  Pour chacun d’entre nous, ces éléments peuvent comporter une dimension symbolique. Cependant, chez les adultes, de la génération des 20-35, la récurrence de ces thématiques est frappante. Ce qui semble fonctionner comme un rappel inconscient de l’histoire se retrouve tout aussi bien chez des personnes dont les ascendants ont été pris dans cette tourmente que chez de jeunes adultes qui n’ont pas connu leurs grands-parents ou qui n’ont pas dans leur généalogie un membre de la famille victime de la déportation. En période d’angoisse, ces derniers peuvent rêver sans cesse « d’intrus dans la maison » ou de « personnes dans un jardin qui sont fusillés ». Ce qui signifie que ce trauma ne se transmet pas que par voie orale ou par les récits, mais par une sorte de mémoire collective  avec laquelle le sujet s’identifie et se reconnait.  Ainsi, nous pouvons rencontrer des jeunes adultes qui n’ont connu aucun parent victime directe de la Shoah et qui pourtant, en période d’angoisse, rêvent sans cesse « D’intrus dans la maison » ou de « personnes dans un jardin qui sont fusillés ».

Les thématiques récurrentes constatable dans l’analyse des rêves sont les suivantes : mort de personnes proches ou inconnues sous forme de « cadavre pendu » ou « fusillé ». « Intrus » qui pénètrent dans « la maison familiale » renvoyant à la non sécurité de l’habitat. Angoisses massives ravivées et présentes tant dans les rêves que dans certains éléments diurnes liées à la manière dont les médias mettent en mots certains faits sociétaux relatifs aux attentats par exemple. En d’autres termes : la figure de la mort sous forme de « cadavre », l’habitat non sécure et angoisses accrues selon le lexique utilisé par les médias pour retranscrire un attentat par exemple.

Ces éléments, vous pouvez les retrouver dans vos rêves même si vous n’avez pas dans votre arbre généalogique le trauma d’un génocide, liés à d’autres éléments de votre histoire. Mais alors pour vous, ils se lieront à quelque chose de votre histoire. En effet, en utilisant le système d’analyse d’interprétation des rêves freudiens, d’association en association, vous arriverez à ce à quoi pour vous, par exemple un « cadavre » se connecte. Pour les générations concernées par le génocide, l’analyse des rêves mène à des scènes de guerre. Parfois des souvenirs de récit. Parfois des images retranscrit évoquées par des photos. Parfois une imagerie basée sur des représentations inconscientes collectives.

 Le trauma de l’aïeul laisse donc trace dans nos rêves. Il subit des remaniements, le sujet tourne autour de son histoire et joue sa partition familiale parfois sans conscience de ce qui l’habite mais le trauma reste là et continue d’être vivace au cœur de son psychisme d’être humain.

Une marque biologique, une marque psychique, un rappel de notre histoire

 En 2014, dans une recherche, la médecin psychiatre Rachel Yehuda et son équipe, ont mis en  évidence le fait que les victimes de la Shoah et leur descendance ont une empreinte biochimique, une trace dans leur ADN. D’apres cette recherche : « S’il y a transmission de traumatisme, elle se fait via un gène lié au stress qui façonne la manière dont nous faisons face à notre environnement, a déclaré Rachel Yehuda. À notre connaissance, c’est la première démonstration de la transmission transgénétique des effets d’un traumatisme, quand les deux parents ont été exposés.» En tant que psychologue clinicienne, je pose l’hypothèse que la transmission est en premier lieu psychique. Je constate une marque, une trace psychique qui continue son chemin, elle se transmet ENTRE les générations. Elle donne un rapport aux angoisses, à la vie et aux événements collectifs traumatiques différents que ceux qui ne sont pas porteurs dans leur histoire singuliere et collective d’un génocide. Une trace qui naît dans le trauma et se transmet à travers nos mécanismes psychiques.

Nos traumas se transmettent. Ils font partie de nos racines. C’est universel. Ainsi, toute personne qui a dans sa généalogie un génocide, le porte en lui, dans un remaniment psychique, en mouvement entre les générations. D’ailleurs, la recherche de la psychanalyste Marie-Odile Godard explore les rêves des rescapés des drames collectifs « un combat solitaire, souvent inconscient, dont les rêves sont les témoins et les symptômes ». Elle fait le lien entre les réves des rescapés de la Shoah, du génocide Tutsi, et de la guerre d’Aglerie. La trace du choque y est universelle. Cette trace fait de souvenirs et crainte de la destruction collective continuent à s’inscrire dans les rêves des descendants.

Conséquence dans nos rêves

Le trauma reste vivace et en période d’angoisse liée au quotidien, les rêves, d’association en association peuvent ramener le rêveur au trauma originel. Par exemple, ce banquier qui avant chaque négociation rêve que sa maison est prise en otage et que « des hommes armés » lui « volent tout ». Après analyse, on retrouve dans ce rêve l’angoisse d’une grand- mère qui, victime de la Shoah, a toujours eu l’angoisse que l’on pénètre dans sa maison et a élevé son petit-fils dans cette anxiété-là. Ici la transmission est aussi bien dans l’affectif que dans le vivant d’un aïeul.

 Ou l’exemple d’une jeune fille qui n’a pas connu ses grands-parents, mais qui a tous les symptômes post-traumatiques des rescapées de guerre sans pour autant avoir donc vécu une quelconque guerre. Il y a pourtant bel et bien eu transmission. D’une manière ou d’une autre, elle porte en elle un trauma qu’elle n’a pas vécu, mais qui fait partie d’elle. Puisque « sans souvenir » le travail thérapeutique peut-être long, mais ici aussi, c’est par les rêves, voie royale de l’inconscient, que des éléments non-sues peuvent resurgire.

 Ces symptômes et les conséquences d’un vécu et d’une Histoire traumatique, nous pouvons les retrouver dans les rêves d’enfants des rescapés du massacre de Srebrenika. Ainsi, citons une jeune femme qui a un rêve récurrent. Elle rêve : « Dans ma banque, l’alerte au feu se met en marche, je cours pour sortir mais toutes les portes sont fermées. Je vois mon boss mais il refuse de m’aider. Il sort. Et sur le sol je vois mon grand-père mort ». Cette petite-fille d’un homme qui trouvé la mort dans le massacre de Srebrenika ne connaît pas bien son grand-père, Elle a grandi à Londres et l’a vu deux fois. Pourtant il apparaît ici, dans son rêve, de façon anxiogène. Rêve qui lui vient, dès que sa vie la connecte à une période de stress.

 Chaque histoire, chaque inconscient est singulier dans son langage mais universel dans ses mécanismes et processus de transmission. Ainsi, il est intéressant de comprendre que rien en nous ne se perd, comme la souvent dit Jung : « Nous sommes d’une âge immense ». Nos choix portent en eux les pas de nos grands-parents. Se connaître c’est aussi rencontrer ceux qui nous ont précédés. Et si nos rêves portent les traces d’un trauma, la guérison réside peut-être dans le fait d’en faire une force. Il n’y a pas de « cauchemars » disait la psychologue et psychanalyste Marinette Motti, « il n’y a que des rêves qui ne sont pas encore compris ».

Fanny Bauer-Motti

Docteur en psychologie et psychopathologie 

Psychologue, psychanalyste

Note : les situations ici ont été modifié pour préserver l’anonymat du rêveur mais la teneur de la situation permet d’apprehender le trauma dans le rêve.